"Je suis en dépression mais ne m'oubliez pas"

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"Je suis en dépression mais ne m'oubliez pas"

Date: 10 September 2016 | 10:05 am

Un dessin illustrant la dépression (CALLOT / BSIP)

 

J’étais invitée ce week-end à un mariage, celui d’un ami que j’apprécie, que je vois épisodiquement depuis notre sortie d’école de commerce. Un mariage qui s’annonçait sympa, bon enfant, prometteur. Mais voilà, je n’irai pas. Non pas que l’envie me manque. Je tergiverse depuis plusieurs semaines sur la meilleure manière de me débiner la tête haute en y mettant une bonne dose d’autodérision ou de pathos.

 

J’avais décidé d’attendre le jour J pour envoyer un message afin de passer inaperçue entre deux petits fours. “C’est trop bête, je suis coincée au Maroc, mon avion a été annulé, j’ ai la haine “, ” Je devrais faire la fête avec toi et me voici à l”hôpital avec une épaule démise/ un estomac perforé/une infection oculaire/une appendicite “.

 

“Je suis en dépression”

 

Deux jours avant, je reçois un message du futur marié pour discuter plan de table, je panique, ça devient réel. Je dois me défiler toute de suite, violemment, définitivement. Je décide d’enterrer virtuellement mon père. Mon père car je ne parle jamais de lui, il n’existe quasiment pas dans ma vie, peu de chance que je sois prise en flagrant délit de mensonge plus tard, et c’est suffisamment grave pour me faire plaindre/bien voir. Je tape et retape le message sans trouver les mots justes.

 

Il faut que vous sachiez que je suis une personne plutôt réservée, inventer des mensonges, me défiler plutôt que me dévoiler, ça me ressemble bien. Mais je suis lasse et décide de dire la vérité. Je lui écris un court message. “Je suis en dépression, j’ai à peine la force de sortir de mon lit, de me tenir debout. J’aurais aimé venir mais j’en suis physiquement incapable. Excuse-moi.”

 

Je me suis sentie étrangement honteuse et soulagée après ça. Peu importe ce qui pouvait en ressortir, j’étais à l’évidence arrivée à bout puisque je n’étais même plus capable de porter un quelconque masque social, de faire semblant, de faire bonne figure.

 

“Je ne sais pas trop, c’est plein de choses à la fois”

 

Coïncidence, la même semaine, de passage à la Cité des sciences à Paris, je tombe sur l’exposition “Mental désordre”. Que le temple de la Science accorde de la place, une réflexion, et donc une existence aux troubles mentaux m’a profondément remuée. Je suis bien placée pour dire que la dépression est un mal dont on préfère se détourner, invisible donc inacceptable.

 

Un mal que je préfère moi-même taire. Je peux aussi reconnaître qu’il n’est pas facile de communiquer, d’aider et d’accompagner une personne qui en souffre. Pourtant, j’ai besoin de vous, de mes amis, de ma famille, quand bien même je veux être seule, je m’isole, je vous rejette ou vous ignore. Ne vous éloignez pas de moi parce que vous avez l’impression que c’est ce que je souhaite. Jusque là je dissimulais, je faisais face et puis c’est devenu trop dur. J’ai essayé plusieurs techniques pour vous sensibiliser à ma maladie, et pour être honnête avec vous, elles ont toutes échoué. 

 

Face à moi, j’ai eu des gens qui voulaient comprendre, qui cherchaient une logique imparable, du tangible. Mais à la question “qu’est-ce qui ne va pas ?”, je ne peux que répondre “je ne sais pas trop, c’est plein de choses à la fois”. Alors ils sont déçus, et je suis déçue de les décevoir. Cette explication qu’ils attendent, je ne l’ai pas, et si je devais décortiquer un à un tous les méandres de mon esprit, ça prendrait beaucoup plus de temps qu’ils ne sont prêts à m’en accorder. Alors ils ne reviennent plus sur le sujet, comme si mon incapacité à m’exprimer m’avait définitivement condamnée. 

 

Cet éternel optimisme creux, lâche et paresseux

 

Il y a ceux qui pensent avoir tout compris sans même prendre la peine de vous interroger, ceux qui parlent d’eux, beaucoup, ceux qui vous prêtent des raisons imaginaires, qui se confondent avec vous. Ils vous donnent des solutions faciles, à l’emporte-pièce : “tu n’as qu’à…”, ” tu devrais… “.

 

Il y a ceux qui sont déçus, qui ont pitié, je le vois bien dans leurs yeux. Ils éviteront alors de poser toute question qui pourrait vous mettre en mauvaise posture. Qui s’extasient artificiellement devant chaque petite chose positive que vous racontez : “Tu vas à Deauville ce week-end mais c’est super, ça va te faire du bien”. Comme si une dépression se réglait d’elle-même et en un week-end. Ils ne comprennent pas que ça dure, que c’est un mal puissant qui me ronge et qui persiste malgré les petits bonheurs du quotidien, malgré les efforts.

 

Et enfin, ce que je déteste le plus, ce qui me rend folle, que ma mère incarne parfaitement, cet éternel optimisme creux, lâche et paresseux : ” ça va s’arranger”, ” tu es forte je sais que tu vas t’en sortir” . Elle ne cherche pas à savoir pourquoi, à savoir ce que je ressens, elle tient juste à dire que ça va aller.  “Tu es une fille géniale, tu es forte”. Ça marchait peut-être pour un examen à l’école mais pas quand on veut se suicider. 

 

Pour être tout à fait honnête, c’est la première fois que j’utilise le mot dépression. D’habitude je tourne autour (“je ne vais pas bien en ce moment “), ou plus souvent j’attends que l’autre fasse le constat de lui-même. Car je manque de courage mais pas de fierté ironiquement. Et si l’autre fait l’impasse alors je n’insiste pas. Bizarrement, l’amie que je fréquente le plus actuellement est d’un narcissisme assumé. Elle parle d’elle, ne s’intéresse qu’à elle, s’inquiète pour un rien, parle trop, trop fort. Avec elle, j’écoute, j’acquiesce, je me laisse submerger par le flot de ses paroles. Entre nous pas de gêne, elle n’attend rien de moi, ne ne me juge pas. Je l’apprécie car elle m’invite à sortir, à bouger, me fait rire. Je suis fréquentable à ses yeux même si je n’ai plus envie de parler, même si plus rien ne m’intéresse. Et parfois c’est tout ce que l’on souhaite, oublier un instant sa souffrance.

 

Je ne suis pas que ma maladie

 

Tout ça fait que j’ai encore moins envie de parler, moins envie de voir les gens. Mais alors que ferais-je moi si je voyais un ami sombrer ? Que ferais-je pour l’aider ?

  1. Je ne le jugerais pas. Ne vous apitoyez pas sur mon sort, ne me donnez pas l’impression que je suis un cas isolé et condamné. Ne me dîtes pas ” tu exagères” sous peine de voir vos yeux arrachés. Nous ne sommes pas égaux face aux aléas de la vie, nous ne partageons pas la même histoire. Ma maladie ne fait pas de moi une personne triste ou égoïste. Ma maladie n’est pas transmissible, me fréquenter ne vous rendra ni plus fort ni plus faible.
  2. Je ne l’abandonnerais pas. Insistez pour me voir. Quand je réponds à votre invitation ou proposition (parfois pour la troisième fois) “désolée, je suis trop fatiguée, peut-être une autre fois”, ce n’est pas une simple réponse, c’est un appel au secours. Alors ne répondez pas ” dommage, peut-être une autre fois” pour finir par ne plus donner de nouvelles. Evidemment, tout ça demande des efforts de votre part, à vous de voir si notre amitié le mérite. 
  3. Je l’écouterais. Posez-moi des questions, même si elles sont difficiles, et si vous n’obtenez pas de réponse, n’insistez pas, essayez plus tard, en formulant différemment, dans un autre contexte. Évitez de poser des questions trop fourre-tout ou trop précises. A la sempiternelle question “est-ce que ça va ?”  Je réponds toujours oui. Je n’ai pas envie de casser l’ambiance à peine mes fesses posées sur une chaise. Ne vous contentez donc pas des réponses données. Vous voyez bien que je vais mal, dites-le, aidez-moi à exprimer mon mal-être, et répétez que vous êtes là si besoin. Dites “qu’est-ce que je peux faire pour toi là maintenant ? Cela fait toujours du bien et qui sait, je ferai peut-être appel à vous quand je me sentirai prête. Mais surtout par pitié ne faites pas comme si de rien n’était, on ne peut pas être deux à jouer à ce jeu-là, et je serai toujours la plus forte.
  4. J’agirais. Montrez-moi que la vie est belle, rappelez moi ce que j’aime en elle, par des actes, des sorties, des intentions, des voyages. En prenant votre temps, pas devant un verre à la terrasse d’un café, entre deux métros. J’ai toujours l’impression de gêner, d’importuner, de gâcher, prouvez-moi le contraire, que la dépression ne dévalue pas notre amitié. Montrez que vous vous intéressez, soyez patient, vos efforts ne sont pas vains.

 

Je n’ai toujours pas reçu de réponse du nouveau marié. Je ne peux m’empêcher de penser qu’il a pris mon message pour une excuse bidon qui ne mérite pas qu’on s’y arrête. Peut-être aurais-je dû enterrer mon père… Mais alors, à quoi bon sauver mes amitiés s’il faut sans cesse sauver les apparences ?

 

Souvenez-vous que je n’ai pas toujours été en dépression, et que je ne le serai pas toute ma vie, souvenez-vous de qui je suis. Je ne suis pas que ma maladie. 

 

Et j’ai besoin de votre soutien.

 

 

 

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