Alstom : "Salariée, je me suis donnée à fond. C'est la douche froide"

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Alstom : "Salariée, je me suis donnée à fond. C'est la douche froide"

Date: 16 September 2016 | 10:49 am

Le 7 septembre, les salariés sur site Alstom de Belfort ont appris l’arrêt des activités de production et de conception. (S. BOZON/AFP)

 

Je suis ingénieur au bureau d’études d’Alstom, au sein du site de Belfort depuis quatre ans. J’ai toujours consacré beaucoup d’énergie à mon travail pour la simple et bonne raison que je l’aime.

 

Nous avons mis les bouchées doubles

 

Chaque jour, le reste de l’équipe et moi-même, nous nous consacrons à l’élaboration de produits compliqués complexes (la locomotive fret Kazakhstan, qui peut tracter jusqu’à 9.000 tonnes et rouler sous des températures de -50°C, les motrices TGV qui roulent à plus de 300km/h en vitesse de croisière). Très impliqués, toujours soudés, nous ne nous contentons pas d’être assis derrière un ordinateur. Notre proximité avec le site de production est un vrai avantage.

 

Comme dans beaucoup d’entreprises, il y a eu des hauts et des bas. En 2014, nous avons notamment été victimes d’une baisse des commandes. Elle a eu pour effet une diminution de notre activité. Et pourtant, c’est plein de bonne volonté que nous avons accepté d’élargir nos tâches, d’ouvrir notre domaine de compétence, de venir en aide à certains services ou d’être redéployés vers d’autres sites.

 

Oui, nous avons accepté l’idée d’être polyvalents et ça a payé. Pas le temps de se tourner les pouces. En mettant les bouchées doubles, nous avons pu gagner des contrats et redresser la barre.

 

À 14h, c’était la fin

 

Mercredi 7 septembre, je me suis rendue au travail. C’était une journée comme une autre, mais aux alentours de 12h30, le vent a tourné. Nous avons tous reçu une convocation : une annonce allait être faite en début d’après-midi.

 

La rumeur a circulé : Alstom cesserait toutes ses activités de production et de conception (il resterait les activités de maintenance) sur le site de Belfort d’ici 2018. J’ai eu du mal à y croire. Ça n’avait aucun sens. Le jour même, on venait de signer un partenariat avec la SNCF pour le “TGV du futur” et nous avions répondu à un appel d’offres pour la RATP.

 

À 14h, tous anxieux, nous avons entendu le directeur du site nous confirmer nos pires craintes. Un papier à la main, il a lu le court message qui nous était adressé : Alstom Belfort, c’était la fin. La douche froide.

 

“Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?”

 

La reprise des activités, des personnes embauchées ces derniers mois, il n’y avait aucun signe avant-coureur. Comment était-ce possible ?

 

Les yeux hagards, incrédules, vidés de tout sentiment, nous nous regardions, en silence. Nous étions incapables de réfléchir ou de nous projeter. L’avenir, nous n’y pensions pas. Seul, le présent importait.

 

Je n’arrêtais pas de me dire :”Pourquoi moi ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ?”. En quelques minutes, on venait de m’enlever tout socle de sécurité. J’ai 36 ans, deux enfants et mon mari travaille à Belfort… Toute ma vie est ici.

 

Au bout que quelques heures, il a fallu que ça sorte. J’en ai parlé avec mes collègues et mon mari. Ce dernier a essayé de temporiser la situation en me répétant que ce n’était pas fait, que nous avions du temps pour y réfléchir.

 

J’y pense tout le temps

 

Pour le moment, je n’ai pas encore réfléchi à la suite, à ce que nous pourrions faire, car très vite, j’ai réalisé que je devais me battre jusqu’au bout. Comment peut-on balayer d’un simple revers de la main nos connaissances, nos compétences et notre savoir-faire ?

 

J’ai encore envie d’y croire, même si j’oscille entre colère, tristesse et lassitude. Chaque soir, quand je rentre chez moi, je tombe systématiquement sur un élément qui me rappelle ma situation et la question cruciale surgit : Et maintenant, qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire ?

 

Les nuits sont longues et blanches. Les journées sont psychologiquement épuisantes.

 

Nous sommes des individus

 

Notre chance, c’est cette solidarité qui nous unit entre salariés. Dans les médias ou sur les réseaux sociaux, j’ai entendu certaines personnes dire : “Deux locomotives en dix ans, c’est normal que l’activité cesse.”

 

À chaque fois, il faut s’expliquer : 400 salariés, ce n’est pas seulement des postes, ce sont aussi des individus et des familles.

 

L’élan de soutien des politiques, c’est bien beau, mais encore faut-il que les mots soient accompagnés de gestes concrets ? Il ne tient qu’à eux de se mouiller, d’agir, enfin. François Hollande veut faire tout son possible, qu’il le fasse.

 

Tout n’est pas encore perdu

 

Pourquoi notre site doit-il être sauvé ? Les arguments ne manquent pas et des ajustements sont possibles. Formations, polyvalence, diminution des charges… Des pistes existent. Sauf qu’elles ne s’inscrivent pas dans la stratégie d’Alstom.

 

Pour eux, il ne s’agit pas de “sauvegarde” de site, mais bien d’un arrêt de production. Dans deux ans, nous n’aurons plus la stabilité de l’emploi.

Pourtant, on s’accroche. Tout n’est pas encore perdu, je suis certaine que nous avons encore quelques cartes à jouer.

 

Nous ne méritons pas ce qui nous arrive. Tout salarié mérite d’être traité comme un être humain.

 

 

 

Propos recueillis par Louise Auvitu

 

 

 

 

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