Inscription en master : les facs toujours hors-la-loi
Date: 14 September 2016 | 7:31 am
Postuler pour entrer en master et ne pas être sûr d’être pris semble tout à fait normal pour un étudiant. Mais ça n’est pas légal ! Depuis l’adoption du système Licence Master Doctorat (LMD) en 2002, les universités sont hors-la-loi quand elles trient leurs candidats. Un petit nombre de ces déboutés, qui ont intenté des recours devant les tribunaux administratifs, ont pratiquement tous obtenu d’être inscrits dans le master de leur choix.
Sélectionner ou ne pas sélectionner en master ? Entre leurs pratiques et le droit, les universités aujourd’hui cafouillent. La ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem a promis une loi à l’automne pour remettre de l’ordre dans cette confusion. Va-t-elle y arriver ? Pas sûr.
Au printemps dernier, un décret avait été adopté en urgence pour tenter de “sécuriser” la rentrée universitaire 2016. Mais il ne résout rien, puisque les recours continuent, toujours avec succès. Récemment, encore : le 2 septembre, le tribunal administratif de Lyon a enjoint l’université Jean-Moulin Lyon-III d’inscrire une étudiante titulaire du diplôme d’infirmière en première année de master “Droit de la santé”, en invoquant le fait que l’admission dans les formations du deuxième cycle est ouverte à tous ceux qui détiennent un diplôme de premier cycle.
Des argumentaires rodés
Les universités ont des argumentaires rodés pour expliquer pourquoi elles ne peuvent ouvrir davantage leurs masters : certains dossiers d’étudiants sont trop mauvais ; elles n’ont pas les moyens – pas assez de professeurs, des locaux saturés – pour accueillir un plus grand nombre d’étudiants ; ou encore elles n’ont pas assez d’entreprises dans leur périmètre géographique pour assurer une offre suffisante de stages au cours de l’année.
Face à elles, les étudiants se débrouillent. Ils postulent dans plusieurs masters, et finissent par atterrir quelque part. Bon an, mal an, les 164 mille étudiants en première année de master (M1) et les 154 mille étudiants en deuxième année de master (M2) trouvent à se caser en master, mais pas toujours dans celui qu’ils avaient souhaité.
Il y a un peu de casse : des centaines restent sur le carreau. Ils se résignent à retenter leur chance l’année suivante… ou aujourd’hui, de plus en plus, à contester la décision de l’université et à faire reconnaître le droit !
Florent Verdier, l’avocat des recalés de la fac
Un décret en catastrophe
Faute d’un toilettage des textes législatifs qui se sont accumulés, les universités ont pu continuer à fonctionner comme par le passé, avant la réforme LMD, quand la maîtrise (bac+4) marquait la fin d’un cycle, et ouvrait sur des études de troisième cycle. Ces pratiques subsistent dans beaucoup de filières, et sont comme confortées par l’existence de concours qui recrutent après la première année de master (avocat, magistrat, notaire, enseignant, psychologue…).
Mais ce fonctionnement contrevient aux textes les plus récents. Le 10 février 2016, le Conseil d’Etat, saisi par un juge du tribunal d’Orléans à propos d’un étudiant en géologie refusé à l’entrée en M2 de géologie à l’université d’Orléans à la rentrée 2015, a rappelé qu’”aucune sélection ne peut être mise en place” en première ou en deuxième année de master si la formation en question ne figure pas sur “une liste limitative établie par décret”. Or ce décret n’était pas sorti. Trop dangereux. Evoquer dans un texte l’ombre d’un soupçon de sélection à l’université revient à jeter une allumette dans un réservoir d’essence. Le mot risque de jeter des milliers d’étudiants dans la rue. Pas de décret, pas de droit.
Devant la menace de voir ces recours se multiplier à la rentrée 2016, ce fameux décret a été publié en catastrophe le 25 mai 2016 : 42% des formations en M2 ont ainsi été listées, et se sont vu accorder le droit de recruter leurs étudiants.
Une situation qui reste bancale
Problème est résolu ? Non ! Car ce décret du 25 mai 2016 est mal ficelé. Pire : selon Me Florent Verdier, l’avocat qui a défendu avec succès nombre de dossiers d’étudiants, le texte est en réalité illégal, car le master, depuis la loi LMD, est un cycle indivisible. Il explique :
“Le Code de l’éducation définit trois cycles des études supérieures, licence (bac +3), master (bac+5) et doctorat (bac +8). Le master est constitué d’un bloc de quatre semestres. Il ne peut être scindé.”
Les universités n’ont donc pas le droit de sélectionner entre le M1 et le M2.
La ministre de l’éducation Najat Vallaud-Belkacem a souhaité réunir autour d’elle avant l’été les universités, les organisations syndicales et étudiantes pour réfléchir à une loi qui avancerait le “recrutement” à l’entrée du M1 (surtout, ne pas employer le mot “sélection”). “Les universités doivent pouvoir recruter à l’entrée en master et non pas en milieu de master “, explique la ministre au quotidien “Les Echos”.
Mais dans les négociations, ce droit devra être conjugué à celui donné à tous les étudiants de pouvoir poursuivre en master… deux objectifs qui semblent difficiles à concilier. Et c’est là où ça coince. Jean-Loup Salzmann, le président de la Conférence des Présidents d’Université (CPU), s’y oppose. Ce serait obliger les universités à inscrire en master tous les étudiants qui le souhaitent, y compris ceux qui n’ont pas le niveau. Dans ces conditions, il préfère le statu quo, quitte à devoir régler, au cas par cas, des recours devant le tribunal administratif. Une solution “bancale, certes, mais préférable”. La loi de clarification promise n’est pas prête de sortir.
Caroline Brizard