Impériale Annette Messager
Date: 13 September 2016 | 6:13 pm
NOUS Y ÉTIONS – L’artiste française est la lauréate du Prix Praemium Impériale 2016 catégorie Sculpture. Un palmarès que cette espiègle partage avec les américains Cindy Sherman et Martin Scorsese. Une annonce très officielle, hier matin, au musée Guimet.
C’est dans la ronde bibliothèque historique du musée Guimet qu’a eu lieu, ce mardi 13 septembre au matin, la plus impériale des cérémonies. Le 28e Prix Praemium Imperiale, le «Nobel des Arts», dévoilait son palmarès 2016.
Deux femmes à l’honneur cette année sur les cinq lauréats, la photographe américaine Cindy Sherman qui a raconté l’Amérique dans des autoportraits de plus en plus transgressifs (dans la catégorie Peinture!) et la Française Annette Messager dans la catégorie Sculpture. Cette femme oiseau aux yeux très clairs du Nord voit ainsi couronner par un jury international son talent de conteuse qui détourne les formes et les contenus pour mettre en scène la vie et ses mystères. Au programme de ses installations fraîches et complexes, la joie et l’effroi, l’enfance et ses sortilèges, l’âge et ses angoisses noires.
Ce palmarès est particulièrement glorieux puisqu’il récompense dans la catégorie Théâtre /Cinéma un certain Martin Scorsese (le New-Yorkais n’était pas présent pour cette annonce, sniff!), le virtuose du violon, venu de Lettonie, Gidon Kremer (Musique) et le Brésilien Paulo Mendes da Rocha (Architecture), pile au moment où la 32e Biennale de Sâo Paulo suscite des louanges enthousiastes.
Ils viennent s’ajouter aux 139 artistes déjà récompensés par le Praemium Imperiale.
Parmi les prestigieux élus, on compte le cinéaste suédois Ingmar Bergman, le maître japonais Akira Kurosawa, le merveilleux conteur iranien Abbas Kiarostami et l’intello franco-suisse Jean-Luc Godard, feu le sculpteur britannique Anthony Caro, les artistes de l’œuvre monumentale in situ Christo et Jeanne-Claude, les architectes Frank Gehry, Norman Foster, Zaha Hadid et Renzo Piano, les peintres David Hockney et Lee Ufan, les plasticiens Robert Rauschenberg, Anish Kapoor ou Cai Guo-Qiang (ce dernier est à voir actuellement dans Le Grand Orchestre des Animaux à la Fondation Cartier).
Les Français n’ont pas été oubliés par ces honneurs décernés avec tout le poids et le sérieux de la maison impériale japonaise. Le Praemium Imperiale a ainsi récompensé les peintres Martial Raysse en 2014, Daniel Buren en 2007, Pierre Soulages en 1992, Balthus en 1991; les sculpteurs Christian Boltanski en 2006; Niki de Saint Phalle en 2000 et César en 1996; les architectes Dominique Perrault en 2015, Jean Nouvel en 2001; les musiciens Henri Dutilleux en 1994 et Pierre Boulez en 1989; les danseurs Sylvie Guillem en 2015 et Maurice Béjart en 1993.
Le voyage à Tokyo
Chaque lauréat reçoit 15 millions de yens (134 000€ environ), un diplôme et une médaille remise à Tokyo le 18 octobre par Son Altesse Impériale le prince Hitachi, frère cadet de l’Empereur Akihito et parrain de la Japan Art Association. En 2014, quoiqu’affaibli et en chaise roulante, il s’était déplacé en personne pour l’annonce générale des lauréats au musée du quai Branly.
Impossible de couper à la cérémonie officielle, sous peine de perdre son prix… Et le montant substantiel de la récompense qui va avec. De bonne source, c’est ce dernier détail qui a convaincu le cinéaste rebelle Jean-Luc Godard de se rendre à Tokyo, où il a d’ailleurs récolté du même coup un mécénat inattendu pour son film en suspens.
Annette Messager est donc en bonne compagnie.
Petit comité très choisi pour la voir recevoir les honneurs avec un mélange charmant de bonheur sauvage et d’embarras. Du producteur Marin Karmitz et son épouse, l’écrivain et psychanalyste Caroline Eliacheff, à l’historienne de l’art Catherine Grenier, transfuge du Centre Pompidou et nouvelle force vive de la Fondation Giacometti qui après des expositions formidables à Shanghai et Rabat va oeuvrer début octobre au musée Picasso en confrontant les deux géants de l’art moderne.
De Sophie Makariou, présidente du musée national des arts asiatiques – Guimet, à Henry-Claude Cousseau, ancien directeur des Beaux-Arts de Paris et membre du Comité français qui propose ses candidats au jury. Ce pilier de la scène française y côtoie Xavier Darcos, président exécutif de l’Institut français de 2010 à 2015, Stéphane Martin le président du musée du quai Branly, et Jean-François Chougnet, président du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM).
Au nom du père
Un film, sérieux comme la pluie, présente à l’assemblée parisienne Annette Messager dans son atelier, sa vie, son oeuvre. Née le 30 novembre 1943 à Berck-sur-Mer, cette fille d’architecte et amateur de peinture dit à la caméra: «je croyais que c’était facile d’être artiste. Mon père me donnait des crayons de couleurs et je dessinais, c’était naturel pour moi». Son art très particulier pour «raconter une histoire» jouant sur «l’opposition entre joie et malheur» lui a déjà valu le Lion d’or à Venise pour son pavillon français qui abritait comme une énorme fleur écarlate et palpitante à la Biennale de 2005.
Habillée de noir à pois blancs très Op Art, l’intéressée esquive l’avalanche de compliments officiels et se tortille sur sa chaise au premier rang, en enfant empêchée de jouer et d’inventer. De l’autre côté de la «front line», Christian Boltanski, son compagnon et son prédécesseur dans cet hommage impérial sourit et médite (ce fils d’une mère corse sans peur ni reproches garde la main droite sur son cœur, comme notre Empereur face à la postérité).
Le plus beau des hommages vient de Marie-Laure Bernadac, qui fut porte-parole de l’art contemporain au Louvre sous la présidence d’Henri Loyrette et qui est conseillère du comité français: «Question délicate. À qui allions-nous donner ce prix? À Annette Messager, collectionneuse, truqueuse, menteuse, bricoleuse, femme pratique, colporteuse. Face à ces multiples identités, le choix s’est finalement porté sur Annette Messager, artiste».
Avec un sens aigu de ce qu’est la nature artistique, Marie-Laure Bernadac raconte parfaitement cette «féministe à la française» qui a planté ses crayons dans une monumentale tête de mort en laine pour Carambolages, l’exposition de Jean-Hubert Martin au printemps au Grand Palais, et qui a ébloui les visiteurs de la Collection Lambert en Avignon, cet été, avec son installation de poupées virevoltantes, mi-précieuses, mi-menaçantes (Au cœur des territoires de l’enfance, exposition conçue à partir de la création Au Cœur de Thierry Thieû Niang, scénographiée par Claude Lévêque, jusqu’au 6 novembre).
«Elle choisit au départ des domaines négligés et peu nobles comme les ouvrages de dame, les magazines féminins, les histoires de midinettes, les romans-feuilletons, la couture, la cuisine, afin de les revaloriser. Passer de l’ignoble au noble, du bas au haut; cette stratégie mine de l’intérieur tous les stéréotypes tant féminins que masculins, à l’instar de ses fameux proverbes brodés qui disent la mauvaise réputation des femmes. Elle devient bricoleuse, car le bricolage était souvent masculin; et la mémoire est un bric-à-brac de cultures différentes (art brut, art populaire, art religieux, affiches de cinéma, etc…). Dans bricolage, il y a collage, dit-elle, rendant ainsi hommage, à Levi Strauss».
Et de saluer son «univers du fantastique, du merveilleux, des contes de fées et des histoires de sorcières». Annette Messager est «inspirée par Meliès, mais aussi par les apocalypses du Moyen-Âge, Walt Disney ou les affiches du cinéma». «Elle étale sur les murs ses Chimères ; délires arachnéens et rêves simiesques, en ayant recours à un mélange hybride de peinture et de photographie. Comme beaucoup de femmes, elle fut traitée de Sorcière, car elle découpe les corps en morceaux, vide les entrailles des peluches, met les têtes sur des piques, recoud des animaux hybrides, mélange têtes et corps. Cette activité d’assemblage, de métamorphose, la rapproche de Mary Shelley et de son Frankenstein».
Président du Comité français, l’ancien Premier ministre de Chirac, Jean-Pierre Raffarin, aminci et bronzé sous sa crinière blanche, s’est félicité en républicain de pareil honneur fait à l’artiste et à la France. Le Prix Praemium Imperiale est, dit-il, le rappel de la nécessité vitale des artistes et de leur pouvoir merveilleux à un moment où notre pays en a bien besoin.
Quand la lauréate a pris la parole, elle l’a fait en deux pirouettes.
Un constat: «il n’y a pas toujours d’avantages à vieillir. Mais ce prix est un privilège».
Et une anecdote symbolique. Quand l’étudiante aux Beaux-Arts de Paris remporta le premier prix d’un concours de photo, elle gagna aussi un billet pour le tour du monde. «Quand je suis arrivée au Japon, toute ma culture était à revoir. J’étais ébahie. Je ne peux pas dire que c’était beau. J’étais ébahie. Recevoir ce prix est pareil, il m’ébahit aussi. Il y a des moments importants dans une vie, les artistes sont de petites lumières qui ne sont pas éteintes».