Gavin Bowd : "Je voulais écrire sur la France et en particulier sur Michel Houellebecq"

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Gavin Bowd : "Je voulais écrire sur la France et en particulier sur Michel Houellebecq"

Date: 8 September 2016 | 4:39 pm

BibliObs. D’abord, quand et comment est né ce livre? Les pages d’ouverture laissent entendre que l’élément déclencheur a été une étonnante soirée en janvier 2013, chez Michel Houellebecq, pendant laquelle celui-ci a parlé de «donner une interview» afin d’«appeler à une guerre civile pour éliminer l’islam de France» et d’«appeler à voter pour Marine Le Pen».

Gavin Bowd. Depuis longtemps, j’avais envie d’écrire sur mes expériences dans le mouvement communiste, et surtout mes voyages dans les ruines du socialisme réellement existant. En plus, j’avais envie d’écrire dans un style plus intime et littéraire sur la France et en particulier Michel Houellebecq, avec qui mes rapports ont été loin d’être exclusivement académiques. Quand les Editions des Equateurs m’ont proposé en février 2016 d’écrire un petit livre sur la France, le communisme, Houellebecq et moi, je me suis dit: pourquoi pas. J’ai choisi cette soirée arrosée comme incipit parce qu’il sert d’électrochoc pour le processus de mémoire: comment en est-on arrivé là? Ça crée aussi du suspense: Michel va-t-il passer à l’acte?

EXTRAITS. Houellebecq, “ce génie”, le communisme et moi

Mais sans doute y a-t-il d’autres éléments qui vous ont incité à vous retourner ainsi sur votre parcours et sur l’évolution idéologique des sociétés occidentales que vous pointez à la fin de ce premier chapitre («du communisme au Front national, de la lutte contre le capitalisme à celle contre l’islam»)?

Oui, c’est bien cette évolution, entre autres choses, que j’essaie d’évoquer. En mars 1981, quand je fais pleurer ma mère en adhérant aux jeunesses communistes écossaises, le PCF, ce «parti pas comme les autres», est le premier parti de la classe ouvrière et de la jeunesse. Aujourd’hui, c’est un autre parti pas comme les autres qui occupe cet espace – le socialisme s’est discrédité des deux côtés d’un Mur disparu, et la gauche ne réussit pas à se reproduire dans ses anciens bastions. En même temps, une ironie de l’histoire est que, en ce moment, la Russie post-communiste et les Etats-unis se trouvent en alliance militaire contre Daech. En 1981, l’Occident armait les Moudjahidines.

A propos de cette évolution idéologique, précisément: que vous inspire-t-elle comme sentiments? On devine qu’elle ne vous réjouit pas, mais votre livre reste finalement assez pudique sur ce point. Plus il avance et plus il enregistre des faits, devant lesquels votre jugement semble s’effacer et renoncer à s’exprimer – un peu comme s’il était dépassé par la marche de l’histoire et comme s’il s’agissait, au fond, de faire éprouver au lecteur lui-même cette perplexité.

Il est vrai que je suis progressivement réduit à un rôle de spectateur, muni d’un bulletin de vote plutôt que de tracts. J’observe, j’évoque, sans forcément dénoncer : il faut comprendre cette évolution idéologique vers les populismes, les nationalismes et l’islamophobie, et en tirer des leçons. J’ai perdu mon parti – auto-dissous en 1991 – et ma jeunesse, donc je rôde comme un fantôme dans les ruines. Il y a de la nostalgie et un peu de tristesse, de l’humour aussi. On semble avoir affaire à un exercice en autodestruction et autodérision.

Quand l’Occident vire à droite

Vous définissez-vous encore comme communiste? Et quel sens cela peut-il encore avoir, en Europe, en 2016, d’être communiste?

Si j’étais Français je serais encore au PCF, parce que je n’aime pas l’anticommunisme triomphant, et le communisme municipal est une belle marque: Choisy-le-Roi reste un paradis terrestre. Le PCF n’est plus communiste: son programme ressemble plutôt à celui du PS de 1981.

Je suis partisan d’une gauche radicalement réformiste prête à exercer le pouvoir, et à reconquérir l’électorat populaire (on en a bien besoin en Grande Bretagne, où le parti travailliste est dévoyé par le lamentable Jeremy Corbyn). C’est pourquoi je n’aime pas Mélenchon. Certes, il est mille fois plus charismatique que Pierre Laurent, mais je le trouve trop sectaire, trop bourge et trop grammaticalement correct, à l’opposé de mon héros d’adolescence, Jojo Marchais. Mélenchon a phagocyté le PCF comme l’a fait son mentor Tonton. Camarades, il vous amène dans une impasse. Réveillez-vous !

Vous avez une connaissance remarquable et suivie de la France. Quel regard portez-vous sur elle, aujourd’hui, alors qu’une nouvelle campagne présidentielle démarre sur fond de menace terroriste et d’arrêtés anti-burkinis?

La France est un pays en état d’urgence et en état d’attente. On ne sait pas quelles nouvelles atrocités nous attendent. Le premier ministre Harold MacMillan a parlé de l’importance des «événements» dans la vie politique d’une nation. Donc, pour le moment il semble que c’est plié pour Marine Le Pen au premier tour; Juppé semble plus présidentiable que Sarko; et la gauche va exploser. Mais qui sait? On élit rarement les chauves, et la France a tendance à se jeter entre les bras d’un homme providentiel – mais qui?

Quant à l’interdiction du burkini, je trouve cela compréhensible – l’islam radical constitue une menace et la France est sur le qui-vive – mais répréhensible aussi – comment légiférer sur les vêtements des femmes? Une charia à l’envers ne va pas aider l’intégration. Il est intéressant de voir la reproduction dans les médias de la photo iconique de BB en bikini sur une plage de Cannes: présage d’un destin idéologique?…

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Vous êtes l’ami, mais aussi le traducteur de Michel Houellebecq. Abordez-vous souvent votre travail avec lui?

En 1995, j’ai utilisé le fait de traduire sa poésie comme prétexte pour rencontrer mon écrivain français préféré. Mais on discute rarement de la traduction, malgré son niveau d’anglais excellent. Il laisse faire les traducteurs, à juste titre.

L’avez-vous prévenu qu’il est un des personnages importants de votre livre? L’a-t-il lu et si oui, savez-vous quelle a été sa réaction?

Je lui ai écrit en juin pour dire que j’écrivais ces «Mémoires» et qu’il y figurerait comme un personnage majeur, mais il n’a rien dit en réponse. Il s’est réjoui plutôt de la victoire du Brexit. Je ne sais pas comment il réagira. Comme beaucoup de Français il tient à l’inviolabilité de la vie privée. On dit que «traduire, c’est trahir»: est-ce qu’un de ses traducteurs a commis un grand acte de trahison? J’aime croire que ce que j’écris sur lui et d’autres personnages du récit est, en général, sincère et affectueux, sans être complaisant.

EXTRAITS. Houellebecq, “ce génie”, le communisme et moi

Y a-t-il d’autres écrivains français en activité qui vous semblent particulièrement intéressants actuellement? 

Deux livres récents m’ont beaucoup plu : «Les Sauvages», une tétralogie de Sabri Louatah, et «2084» de Boualem Sansal. Tous les deux évoquent l’islam radical. Donc je ne sors pas du symptomatique.

Propos recueillis par Grégoire Leménager

Mémoires d’outre-Manche, par Gavin Bowd,
Les Equateurs, 190 p., 18 euros. 

La France, les Arabes et moi : rencontre avec Sabri Louatah

Gavin Bowd, bio express

Gavin Bowd

Né en 1966 dans le Leicestershire (Angleterre), Gavin Bowd a grandi à Galashiels (Ecosse). Maître de conférences en littérature à l’université de St. Andrews, il est poète, romancier, essayiste et traducteur.
©Collection particulière Gavin Bowd.

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