Thierry Lhermitte, le geek le plus célèbre de France

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Thierry Lhermitte, le geek le plus célèbre de France

Date: 11 September 2016 | 11:19 am

Les Bronzés l’ont à jamais immortalisé en Gentil Organisateur au QI inversement proportionnel à son tableau de chasse féminin. Mais Popeye cachait bien son jeu. Acteur dilettante qui n’a jamais manifesté un amour excessif de son art, Thierry Lhermitte est aussi un geek de la première heure. Propriétaire de son premier Amstrad en 1980, apôtre d’Internet dans les années 90, investisseur dans des start-up, chroniqueur scientifique dans Le Magazine de la santé sur France 5 et ambassadeur de la Fondation pour la recherche médicale, ce passionné de maths se montre aussi disert sur les simulateurs de vol que sur les inférences bayésiennes ou Alan Turing. Plutôt pessimiste sur les lendemains de la révolution numérique, Thierry Lhermitte n’est finalement pas si éloigné d’un Peter Thiel, fondateur de PayPal et premier investisseur de Facebook, dont le slogan célèbre est : “Nous voulions des voitures volantes, nous avons eu 140 signes”…
Le Point : En 1996, dans un moment de télévision devenu culte, vous tentiez d’expliquer à Jean-Luc Delarue, Michel Boujenah et Jean-Claude Brialy comment fonctionne Internet. Un bon souvenir ?

Thierry Lhermitte : C’était dingue ! Delarue prenait ça pour un gadget. Il n’arrivait pas à imaginer qu’il suffisait d’augmenter les capacités d’Internet pour que ça change nos vies. En 1994, dans Un Indien dans la ville [NDLR : film dont il fut le scénariste et producteur], on avait doté tous les figurants sur les Champs-Élysées d’un téléphone portable, pour montrer le contraste entre un gamin indien et le monde moderne. Les gens rigolaient, disaient que c’était de la science-fiction. C’étaient des Bi-Bop ! [Rires.]

Comment est née cette passion pour l’informatique ?

Au lycée, seuls les maths m’intéressaient. Je voyais ça comme des problèmes à résoudre. Puis j’ai acheté l’Amstrad 6128 au début des années 80. J’ai appris à mon fils à lire là-dessus et je me suis mis à la programmation sur du langage Basic grâce à un copain bossant dans un de ces canards du type Amstrad Magazine. Ce qui était extra à l’époque, c’est que des mecs qui avaient fait zéro études s’intéressaient à ça. C’était un milieu très ouvert. Pas besoin d’une grande culture scientifique, juste de l’intelligence. Cette démarche conceptuelle de mettre la pensée en code, ça me bottait. Actualiser par exemple une base de données, ça paraît évident car tout est sur votre Cloud, mais c’est un problème très compliqué.

Vous étiez un “gamer”?

Dans les années 80, je passais des soirées sur les simulateurs de vol. Aujourd’hui, j’aime encore jouer à Age of Empires. Mais j’ai préféré le désinstaller car ça me rend fou. Ça m’empêche de dormir.

Y avait-il d’autres acteurs geeks ?

J’étais copain Amstrad avec Bernard-Pierre Donnadieu. Mes amis du Splendid, eux, n’y comprenaient rien du tout. Ça les faisait marrer. Résultat, c’est moi qui écrivais les scripts, car j’avais appris à taper avec dix doigts.

Vous étiez également ami avec Roland Moreno, inventeur de la carte à puce, mort en 2012…

Roland est venu au théâtre. On est devenus potes directement au restaurant. On n’arrêtait pas de s’envoyer des trucs. Mais on s’est un peu fâchés à la fin de sa vie à cause du droit d’auteur et du piratage. Quand t’es devenu milliardaire grâce à un brevet protégé, je trouve ça un peu gonflé de dire que les autres n’ont pas le droit de prendre du pognon avec le droit d’auteur…

Vous faites référence à la polémique de 2010. On vous a reproché d’avoir soutenu Hadopi tout en ayant investi dans une société, Trident Media Guard (TMG), spécialisée dans la lutte contre le téléchargement illégal…

Tout d’un coup, j’étais un fasciste. D’autant que, comme j’étais copain avec Clavier qui était pote avec Sarkozy, j’étais forcément vendu. C’est vrai que Hadopi, c’est terriblement liberticide. On vous envoie un mail et, si vous continuez à télécharger, une lettre recommandée. Vous vous rendez compte ! [Rires.] Je crois qu’en tout il y a eu une dizaine de personnes privées de connexion Internet. À l’époque, personne n’a osé dire : “Moi, je vous emmerde, c’est mon boulot. Et mon boulot je le vends. Et si vous voulez le voler, je vais vous attaquer ”. Tout le monde était gêné.


Les réseaux sociaux, c’est un bon truc sociologique pour juger de l’état de l’opinion, mais là c’est carrément angoissant

Dans les années 90, vous formiez les utilisateurs de Netscape au multimédia via une vidéo. De prosélyte numérique, ne seriez-vous pas en train de devenir réac ?

Publicité pour un CD de formation multimédia à Netscape avec Thierry Lhermitte. © DR

Internet, c’est super, mais c’est aussi une perte de temps car tellement addictif ! Twitter, c’est le café du commerce à grande échelle. Je regarde mon profil Facebook 25 fois par jour en me demandant quelle nouvelle connerie je vais y trouver. En plus, comme je fais du cheval, j’ai accepté plein de gens de plein de milieux différents. Mais il y a des monstres et des racistes ! Les réseaux sociaux, c’est un bon truc sociologique pour juger de l’état de l’opinion, mais là c’est carrément angoissant. En revanche, ce que j’aime bien faire sur Facebook, c’est poster de fausses citations, juste pour voir le nombre d’abrutis qui vont liker. J’ai ainsi mis une photo de Nietzsche et j’ai écris dessous :” Bois ce que tu crois, mange ce que tu espères.”

Combien de “ like”  ?

Plein ! Mais celle qui a le mieux marché, c’est un faux Voltaire : “Ne jugez pas ce que l’avenir a condamné, le passé pourrait bien vous en absoudre.” Évidemment, ça ne veut rien dire. Heureusement, mes enfants n’ont pas “liké”. J’ai été très fier d’eux. [Rires.]

Mais dans les années 80, n’aviez-vous pas vécu l’informatique comme une utopie ?

Comme un saut technologique, en tout cas. C’était grisant d’être à l’affût. Évidemment, je pensais que ça allait servir à quelque chose de plus consistant que Twitter et Facebook. [Rires.] Mais l’outil reste extraordinaire. Prenez la carte Vitale. On pourrait être le premier pays au monde en matière d’immunologie en y intégrant les données épidémiologiques. Un big data avec 65 millions de personnes ! J’en ai parlé à deux ministres de la Santé, mais c’est compliqué à mettre en œuvre. En haut, ils n’ont découvert Internet que très récemment…

Nos hommes politiques ne seraient pas assez geeks ?

Le “mulot” de Chirac, ce n’est pas une blague. En préparant l’adaptation de Quai d’Orsay, j’ai découvert que Dominique de Villepin, que j’ai par ailleurs trouvé très sympa, ne savait pas se servir d’un ordinateur. Du reste, il n’y a pas Internet au Quai d’Orsay pour des raisons de sécurité. C’est incroyable !

Investissez-vous encore dans des start-up ?

Pas beaucoup. J’étais très ami avec Jérémie Berrebi, un entrepreneur qui a eu beaucoup de succès en Israël. Il était venu me voir à 17 ans et je lui ai présenté du monde. Mais, personnellement, je n’ai jamais gagné grand-chose niveau investissement. Un tout petit peu avec TMG, mais, contrairement à ce qui a été écrit, je n’en possède que moins de 1 % des parts. Sinon, j’avais investi avec Nicolas Gaume dans Kalisto et Mimesis Republic. Résultat : deux faillites. Dans ce milieu, tu perds neuf fois sur dix. Il faut avoir beaucoup de sous pour gagner.


Ce n’est que tous les cinquante ans qu’une découverte change vraiment le paradigme

Quelle invention pourrait avoir le même impact aujourd’hui qu’Internet ?

L’ordinateur quantique ? Oui, bon. Un téléphone minuscule ? Bof. Le big data ? Hum… Je crois que c’est dans la biologie que les choses incroyables vont nous arriver. La communication a connu un bond prodigieux en vitesse, mais dès que tu te confrontes au vivant, tu restes à la vitesse du vivant.

Vous n’êtes pas transhumaniste ?

Ça me fait rigoler, les déclarations sensationnelles… Ça ne marche pas comme ça. Je passe du temps avec les chercheurs en laboratoire pour des reportages pour Le Magazine de la santé. La connaissance avance à petits pas, car c’est monstrueusement compliqué. On ne découvre pas la pénicilline tous les ans. Ce n’est que tous les cinquante ans qu’une découverte change vraiment le paradigme.

Vous avez suivi la victoire de l’intelligence artificielle sur l’homme dans le jeu de go ?

C’est balèze parce que j’en avais parlé avec un initié. Les échecs, c’est principalement une base de données et puis une évaluation de la pertinence des coups. Alors que le go, c’est bien plus compliqué. Contrairement à ce qu’on peut penser, l’intelligence artificielle n’a pas tant avancé que ça, alors que dans les années 80 on pensait que ça serait beaucoup plus rapide. C’est là où on constate la complexité de notre cerveau. Ça commence à avancer avec le “deep learning”. On s’aperçoit que, dans le cerveau, l’apprentissage se fait comme des inférences bayésiennes [NDLR : une méthode de raisonnement permettant de déduire la probabilité d’un événement à partir de celle d’autres événements déjà évalués]. Je lis actuellement la revue Mathématiques. L’explosion continue, qui montre comment, grâce aux maths, on vire des spams ou comment on modélise les molécules qui se distribuent dans les poumons. C’est passionnant !

N’avez-vous jamais eu envie de faire un film sur la science ?

Je convoitais il y a vingt ans  L’Énigme de l’intelligence, la biographie d’Alan Turing. Les droits étaient déjà pris, mais on appelait tous les ans pour prendre des nouvelles, jusqu’à ce que sorte Imitation Game. L’histoire me passionnait : Enigma, Bletchley Park, l’Angleterre sous le Blitz, la pomme… C’est fou !

Pour finir, vérifions la fiabilité du Web. Sur Google, on apprend que vous avez une tortue tatouée sur la fesse gauche. C’est vrai ?

Exact. [Rires.] On était à Tahiti pendant trois mois pour le tournage du Prince du Pacifique d’Alain Corneau. La moitié de l’équipe s’est fait tatouer. C’était un truc mystique. La tortue est un symbole de sagesse, et je ne voulais pas d’un tatouage apparent à la Gérard Lanvin. Ma femme a trouvé ça très joli.

Thierry Lhermitte est parrain de la Fondation pour la recherche médicale (FRM), qui se mobilise pour la Journée mondiale de lutte contre la maladie d’Alzheimer le 21 septembre. À partir du 6 octobre, il sera au théâtre pour une reprise du Syndrome de l’Écossais.

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