Alstom : une manif pour "donner le frisson aux Belfortains"

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Alstom : une manif pour "donner le frisson aux Belfortains"

Date: 15 September 2016 | 5:19 pm

Jeudi à Belfort, encore sonnée par l’annonce de la quasi fermeture de l’usine Alstom (480 salariés), les slogans contre la loi travail de Myriam El Khomri ont été clairement relégués au second plan des préoccupations. “Alstom, non à la fermeture”, scandait le cortège de manifestants, rangés derrière la banderole de l’intersyndicale CGT, CFDT, FO, CFE-CGC, remontée à bloc.

“Ce n’est pas parce que le président de la République a dit que Belfort allait être sauvé que nous allons l’être”, a lancé Pascal Novelin de la CGT.

“La lutte ne fait que commencer.”

Les enjeux ne sont pas minces. Il est prévu d’arrêter à l’horizon 2018 la production de locomotives, le fleuron de l’entreprise qui fait la fierté des “Alstom” et avec eux de tous les Belfortains. Car c’est là qu’en 1880 est sortie des usines la première locomotive à vapeur. C’est là aussi qu’a été fabriqué le premier TGV. Venu en voisin pour témoigner de son soutien, Pascal Pavillard, chez le constructeur automobile PSA Sochaux depuis 40 ans, comprend ça. “Alstom est à Belfort ce que PSA est à Montbéliard-Sochaux”, dit-il.

“Ce n’est pas à un enterrement que nous allons”

Au-delà de ces trophées industriels, c’est l’avenir de 400 salariés qui est en jeu. Et avec eux, des familles, et la population toute entière. Ce matin dans le cortège d’un millier de personnes, plus qu’à aucun moment des manifestations passées contre la loi El Khomri, ils étaient nombreux à être venus en renfort. Des mères et des pères de famille avec le dernier né dans la poussette, des actifs qui avaient pris un jour de RTT, des fonctionnaires qui avaient débrayé, des retraités. Tout au long du parcours de l’avenue Jean Jaurès où le petit commerce est tué à petit feu par les centres commerciaux, des badauds claquaient la bise aux uns, prononçaient des paroles de soutien et d’encouragement aux autres. Sur le seuil de sa porte, une femme a levé le poing en l’air.

Dans cette région, frappée à intervalles réguliers par des plans sociaux, la solidarité n’est pas un vain mot. “Ce n’est pas à un enterrement que nous allons, c’est à une bataille”, a tonné Olivier Kohler de la CFDT. “Il faut le crier haut et fort. Il faut donner le frisson aux Belfortains. On ne lâche rien”.

La pluie tombait. Fine d’abord puis plus forte. Cela ne les a pas arrêtés.

Béatrice, 33 ans d’Alstom Transport, est dessinatrice industrielle. C’est elle qui avec sept collègues, conçoit les locomotives à venir. On lui parle du TGV du futur, programmé pour 2020, une option qui pourrait permettre d’accorder un sursis à l’usine de Belfort, voilà ce qu’elle répond. “Il est tellement dans le futur que je ne sais pas si on le verra un jour”.

La désillusion est grande dans les rangs. Les politiques ? “Tous des beaux parleurs”, estime Daniel. La visite impromptue mercredi d’Arnaud Montebourg, l’ancien ministre du Redressement productif ? “Il était là pour faire sa com”, coupe Lionel, 27 ans d’Alstom. “J’espère quand même qu’il va nous apporter quelque chose. Mais on est dans l’incertitude. On a peur.”

Des impacts indirects

Jean, un ancien de la maison chargé du contrôle qualité des cuves à vapeur, 74 ans et toujours vert, a suivi la dégringolade, “l’externalisation”, autrement dit la sous-traitance progressive de pans entiers de l’activité : la mécanique, la câblerie, la sellerie, la fonderie, etc., entraînant une perte du savoir-faire. “Or le savoir-faire, c’est le personnel qui l’a”, dit-il.

“Aujourd’hui vous ne pouvez plus prendre un contrat sans qu’il ne prévoit de fabriquer dans le pays signataire. Les Américains sont en train de s’équiper en ferroviaire pour tailler des croupières à l’aviation, alors que nous, on est dans le renouvellement. Et comme la SNCF est endettée jusqu’au trognon…”

La sortie de crise n’est pas pour demain. D’autant que le transfert prévu des salariés d’Alstom à Reichshoffen, dans le Bas-Rhin, aura, s’il se réalise, immanquablement des conséquences sur les 1.200 salariés qui occupent des emplois de sous-traitance directe. Sans parler de l’impact indirect sur le commerce, les services, la fonction publique, touchés par ce que les Belfortains qualifient de “scandale”.

Denis Demonpion

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