Yann Barthès : "Il n'y aura pas quelqu'un de TF1 perché sur mon épaule"

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Yann Barthès : "Il n'y aura pas quelqu'un de TF1 perché sur mon épaule"

Date: 7 September 2016 | 6:35 pm

TéléObs. Complétez la phrase : “Si on m’avait dit il y a dix-huit mois que je ferais ma rentrée 2016 dans le groupe TF1, j’aurais répondu…”

Yann Barthès. – “Ah, ça, alors !” ou “Sacrebleu, pourquoi à TF1 ? Et… pourquoi pas ?” ou encore “Ah, tiens ? Il s’est passé un truc à Canal ?”

Comment expliquez-vous votre réticence à donner des interviews ?

–  Par une grande timidité… J’en fais quand c’est nécessaire, je me suis exprimé sur France Inter quand notre équipe s’est fait bastonner, le 1er mai 2015 par le FN. En réalité, j’ai peur de me répéter alors que je suis le premier à ironiser sur ceux qui servent, en boucle, les mêmes mots sur tous les plateaux.

Ne pas faire de com, c’est de la com… Cela crée une sorte de mystère…

–  Ce n’est pas recherché, non… Il n’y a pas de stratégie derrière.

Votre émission sur TMC, ce sera “le Petit Journal” rebaptisé ?

–  Non, elle sera nouvelle et s’appellera “Quotidien”. Elle sera plus longue, diffusée de 19h10 à 20h30. On garde notre “troupe”, les mêmes bureaux, le même plateau. Le ton, aussi. L’idée, c’est de sentir l’ambiance du moment et d’avoir des invités qui l’incarnent, nous parlent de leur travail, nous expliquent les choses de façon didactique. Nous partons du principe que tout ce qui nous intéresse peut intéresser le spectateur.

Votre contrat comprend-il des clauses d’audience ?

–  Je n’en ai aucune idée…

Vous l’avez quand même lu ?

–  Mon contrat ? Non.

Vous avez signé sans le lire ?

–  Oui. Franchement, les chiffres, je n’y comprends rien. Toute mon équipe vous le confirmera : les PDA, les PDM [part d’audience, part de marché, NDLR] , je n’y pige rien. Je demande juste : ça a marché ? Oui ? Non ? Moyen ?

Vos spectateurs vont vous suivre…

–  … J’espère bien !

Mais dans quelle proportion ?

–  Nous allons communiquer sur le fait que, pour nous trouver, il faudra désormais se brancher sur le canal 10. On sait aussi que les jeunes se détournent des chaînes. Ils veulent juste du flux. L’an dernier, on était plus vus en replay qu’en direct. Avec un pic à 13 heures : le programme est regardé en déjeunant, au bureau. “Quotidien” n’est pas juste un rendez-vous sur une chaîne. A côté, on a développé une plateforme : un site internet avec des programmes digitaux, qui – c’est important – est ouvert à l’international. Il y a plein d’expats qui nous suivent.

Donc, vous misez sur la fidélité de votre public ?

–  Je ne dis pas qu’on récupérera tout de suite notre audience, il faudra un an. A chaque fois que Canal+ changeait notre horaire, les gens mettaient six mois à se caler.

Quand vous avez commencé à consacrer des émissions à l’international, à l’Iran, à Kobané, vous disiez : “Si on arrive à être pédago, on peut embarquer les téléspectateurs…”

–  Je le pense vraiment. Quand un sujet est rébarbatif, qu’on se dit “pfft…”, eh bien, on essaie quand même… L’exemple, aujourd’hui, ce serait la Colombie. C’est loin, dangereux, on a plein de clichés en tête. Or les Farc et l’Etat viennent de signer un accord de paix. A condition d’être super didactiques, d’expliquer, “la Colombie, c’est tant d’habitants, la capitale, c’est Bogota ; en haut à gauche, c’est le Panama, là, il y a le Brésil, la jungle, les Farc voilà ce que c’est, on va vous expliquer pourquoi c’est intéressant. Martin [Weill] va vous montrer…” Des gens, sur place, nous parlent. Et en mettant de l’humour, en appuyant sur les clichés, les grosses moustaches, les sombreros, on arrive à faire passer des choses. Même une semaine sur ce sujet, ça marcherait ! On peut traiter n’importe quel thème.

C’est peut-être la difficulté, d’ailleurs, car quand je dis à l’équipe “On peut tout faire”, là, silence, pas d’idées… La liberté fait peur.

Il y a des sphères que vous n’avez pas explorées, l’économie par exemple.

–  Vous oubliez le rapport de la Cour des comptes ! Chaque année, Didier Migaud, le président, vient en parler durant quarante minutes et, chaque fois, ça cartonne. Ça touche vraiment la vie des gens. Il est pédago.

Vous animerez également une émission hebdomadaire sur TF1 à partir de novembre. Le titre envisagé, “Temps de cerveau disponible” (allusion à la sortie célèbre de l’ex-PDG de TF1, Patrick Le Lay : “Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible” ), est-il toujours d’actualité ?

–  J’aimerais bien mais on réfléchit encore car cette expression n’évoque rien aux jeunes. Au début, à TF1, ils ont… toussoté. Après, on a imaginé comme titre “Tant de cerveau disponible”. On regarde si on trouve mieux… Ce programme sera un spin-off [dérivé] de la quotidienne, avec la même équipe, le même plateau et des invités dans tous les registres – politique, culturel… -, interviewés plus longuement.

Votre équipe vous a suivi.

–  Pas Alex Lutz… Lui, il a décidé de rester sur Canal. Je lui souhaite bon courage. Canal a essayé de retenir Martin Weill, Eric et Quentin, bien sûr. En fait, ils ont tenté le coup avec tout le monde…

Même vous ?

–  Ils n’ont pas essayé de me retenir [rires] .

Il y a eu beaucoup de spéculations sur les raisons de votre départ. On a parlé, par exemple, de réduction des budgets. Mais vous n’avez jamais dit ce qui vous avait décidé…

–  Réduire les coûts, si on vous explique que le camion va dans un mur, on peut y réfléchir…

Mais le vrai problème était ailleurs : quand on m’a annoncé que “le Petit Journal” serait à moitié crypté. Chaque jour, j’aurais dû faire un teaser et dire : “Attention, ça, c’est que pour les abonnés.” Et, là, franchement, ce n’était même pas envisageable.

La stratégie que nous proposait Canal ne nous allait pas, tout simplement.

Comment avez-vous vécu cette dernière saison à Canal ?

–  Je n’en garde pas un très bon souvenir. Mais c’est de l’histoire ancienne, je suis passé à autre chose… Ça fait langue de bois ?

On ne vous a jamais fait de réflexion sur votre travail ?

–  Jamais. Non, je pense qu’ils ont fait très attention, ils ne nous ont rien dit. Rien du tout.

Le communiqué de départ vous remercie…

–  Vous n’allez pas tomber dans ce panneau, tout de même ! C’est de la communication.

A votre avis, ça arrangeait Bolloré que vous partiez ?

–  Je ne le saurai jamais… [long silence, rires] . Je n’ai plus eu de contact avec la direction de Canal+ à partir d’avril, sauf, à la fin, une boîte de chocolats envoyée par Maxime Saada [directeur général du groupe Canal+, NDLR] . Etaient-ils bons ? Je ne les ai pas goûtés.

Les dirigeants ne sont pas venus vous dire au revoir ?

–  Non.

Après Bolloré, Bouygues, donc. Vous avez rencontré l’actionnaire, Martin Bouygues ?

–  Non. Je sais que Gilles Pélisson [PDG de TF1] et Ara Aprikian [directeur général adjoint des contenus du groupe] lui ont présenté le projet et qu’il l’a validé.

Avec quels arguments Ara Aprikian vous a-t-il convaincu ?

–  Ara sait ce qu’il “prend”, il connaît très bien le meilleur et le pire de l’équipe et de l’émission puisqu’il a bossé avec nous pendant dix ans. Il nous a invités dans un restaurant japonais du 5e arrondissement, avec Laurent Bon [cofondateur avec Yann Barthès de la société de production Bangumi, NDLR] et Mathieu Vergne [directeur des programmes de flux à TF1] . Il a commencé à parler de TMC, et là… j’ai décroché. A un moment donné, j’interviens : “Mais de qui on parle ?” Réponse : “Ben, de toi. Mais ne panique pas.” TMC, dans ma tête, c’était encore Télé Monte Carlo. Alors, Ara s’est montré didactique, m’a expliqué qu’il voulait rendre TMC plus “premium”, cibler un public différent. On a refait ensemble l’habillage de la chaîne. Et, surtout, il me donne carte blanche.

Et le budget qui vous est alloué ? Ça non plus, vous ne le connaissez pas ?

–  Non, non, pour de vrai. Quand ils ont parlé contrat avec Laurent Bon, je suis sorti fumer une clope.

Mais c’est un contrat sur une longue période ?

– Pluriannuel, qui nous donne le temps de nous installer car nous débarquons sur une chaîne gratuite, un exercice nouveau.

Qu’est-ce qui était non négociable ?

– D’avoir moins d’indépendance, moins de liberté qu’à Canal. Avec Ara, pendant dix ans, c’était simple : tu me fais confiance ? Oui ? Non ?

Vous disiez qu’à Canal, les dirigeants découvraient l’émission en même temps que les téléspectateurs…

–  Oui, puisqu’elle était faite au jour le jour.

Idem à TF1 ?

– Il n’y aura pas quelqu’un de TF1 dans nos bureaux ou perché sur mon épaule…

Vous serez astreint à donner la liste de vos invités ?

–  Non, certains invités sont “calés” deux heures seulement avant le générique. Dans une quotidienne, les choses changent encore dix minutes avant le début.

Vous écrirez tous vos lancements ?

–  Il va falloir que je change un peu mes habitudes car l’émission est plus longue… J’ai un défaut, j’aime bien tout contrôler, à la virgule près. S’il manque un accent, je n’aime pas, s’il y a un blanc au prompteur, en l’occurrence un noir, c’est un peu la panique.

Comment vous répartissez-vous le travail avec Laurent Bon et le producteur Théodore Bourdeau ?

–  Beaucoup de gens bossent avec moi et ne sont pas forcément visibles à l’antenne. Laurent est présent le matin et le soir. Quand on lui dit : il y a ça et ça de prévu, en général, le soir, il n’y a rien de ce qu’on avait imaginé. Il donne une direction le matin, le soir il regarde le produit fini ou presque, fait des recommandations, demande des changements… Il est présent sur le plateau. Au bout de l’oreillette, il y a soit Laurent, soit Théodore, qui fait le lien entre tous. C’est le seul qui soit dans ma tête et qui voit le résultat dans son intégralité avant sa diffusion.

Au printemps, un article dans “le Point” décrivait “le Petit Journal”…

–  … comme une secte, oui, je sais.

Et comme un système de cour… Que répondez-vous à cela ?

– J’ai surtout retenu l’histoire de la secte… Une vingtaine de personnes, ici, bossent avec moi depuis près de dix ans. On se connaît par cœur. Amélie Arnaud, la chef monteuse, ou Théodore devinent même parfois ce que je pense en plateau alors qu’ils sont en régie. J’espère qu’il y a beaucoup de sectes de ce genre dans le PAF.

Les productions de Bangumi sont réputées exigeantes et coûteuses, notamment parce que vous vous donneriez le droit de jeter ce qui ne vous satisfait pas. C’est vrai, ça ?

–  C’est vrai, on jette.

Beaucoup ?

– On fait en sorte que cela n’arrive pas trop. Mais le week-end, par exemple, on envoie quatre équipes couvrir différents sujets. Si le lundi, il ne s’est rien passé, qu’on n’a rien à raconter, qu’on n’arrive pas à saisir “le” truc, oui, on jette le tournage.

Avec le décryptage de la com, le fact-checking tels que le pratiquait “le Petit Journal”, avez-vous vu le comportement des politiques changer ?

–  Ils se sont mis à faire attention aux perches, au “off”. Mais les comportements changent aussi à cause des modes de diffusion. Par exemple, quand Macron a lancé son mouvement, il a refusé les journalistes, il avait sa propre caméra, il a diffusé en direct sur YouTube ou Dailymotion. Maintenant, les politiques peuvent tout gérer de A à Z. Malgré tout, des images de foule avec une forêt de micros leur seront toujours nécessaires. L’autre jour, Sarkozy sortait d’un restaurant, il a besoin d’images de gens criant “Bravo Nicolas”. Mais quand ils n’en voudront pas, ils auront désormais la possibilité de faire sans foule, sans caméra, sans micro.

Votre émission – et d’autres – a-t-elle généré une nouvelle génération de politiques ?

–  Ceux de ma génération, les Laurent Wauquiez, Najat Vallaud-Belkacem, Cécile Duflot… nous voient arriver plus vite que les autres, ils savent où nous voulons – éventuellement – en venir. Ils sont donc plus compliqués…

Plus compliqués mais pas différents, au fond ?

–  Ils poursuivent le même but que les autres.

Comment avez-vous vécu ce moment, durant la présidentielle de 2012, où Marine Le Pen rit aux larmes à vos questions ?

–  Mal ! Ce que je lui racontais n’était pas si drôle….

Ces derniers mois, elle refusait de parler à Canal+, j’imagine que, maintenant, elle nous accueillera à bras ouverts. Ça va être un festival. J’ai hâte…

Vous savez bien que non. Ce sera quand même un souci, à un moment, dans cette campagne, si le FN persiste à ne pas vous parler ?

–  Jean-Luc Mélenchon non plus ne nous parle pas… On sait que si on met un micro sous le nez d’un type du FN, il nous envoie balader, alors on n’y va plus. Du coup, on utilise les images de leurs discours et on travaille dessus.

Les états-majors des partis politiques se battent-ils désormais pour venir ?

–  Je ne sais pas s’ils se battent mais, en tout cas, ils viennent volontiers.

Pourquoi ?

–  Mais que risquent-ils ?

Le ridicule, par exemple.

–  Je n’ai jamais ridiculisé personne. Si ?

Fleur Pellerin, incapable de faire marcher les différents appareils qui sont dans son bureau, sa télé…

– Alors, là, je n’ai pas compris le buzz qui a suivi. Je vous mets au défi d’allumer ce genre de télé ! Je ne crois pas qu’il y ait un risque de se ridiculiser quand on vient sur le plateau. On sait aussi être sérieux. D’ailleurs, dans l’émission avec Fleur Pellerin, on a parlé cinq minutes de l’œuvre d’Anish Kapoor vandalisée à Versailles alors que le sujet tourné dans son bureau durait quarante secondes… Idem pour Valls, quand il est venu après le 13 novembre, on a consacré quarante minutes aux attentats et à la jeunesse. A la fin [à la question de Yann Barthès : “On s’est tous plus ou moins bourrés la gueule en terrasse depuis le vendredi 13. Vous aussi, j’imagine ?”, NDLR] , il dit : “Il y a très longtemps que je ne me suis pas bourré la gueule.” C’est la seule chose qui a été reprise. Un peu décourageant.

Et Hollande lors de la dernière du “Petit Journal” qui vous invite à “préserver la liberté qui est au-delà de l’impertinence” ? Très chic d’avoir un président pour sa dernière !

–  On avait tout le monde. Sarkozy…

Grand numéro d’ego, quand même…

–  Oh, si on ne le fait pas pour une dernière, le grand numéro d’ego, on ne le fait jamais !

Dans le livre que Laurent Mauduit, journaliste à Mediapart, publie sur les empires de médias, il écrit ceci :Yann Barthès annonce qu’il passe sur TF1. En définitive, c’est cela, la formidable prouesse de Vincent Bolloré : donner de l’empire du roi du béton l’image d’un havre de… liberté.” De fait, votre transfert donne à TF1 une image inespérée. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

– Je comprends que cela puisse faire cet effet… Pour le coup, il est sur un vieux logiciel des années 1990. Je ne pense pas que les journalistes de TF1 soient moins libres, moins indépendants que ceux d’iTélé ou de BFM. Gilles Bouleau ou Valérie Nataf le prendront mal si on leur dit qu’ils ne sont pas indépendants parce qu’inféodés à Bouygues. Comme si on prétendait que les journalistes de “l’Obs” le sont à “BNP” [les actionnaires Bergé, Niel, Pigasse, NDLR] .

Vous préférez être associé à Jean-Pierre Pernaut plutôt qu’à Cyril Hanouna ?

–  Pourquoi les comparer ? Ça me faisait marrer de prendre Jean-Pierre Pernaut comme tête de Turc, de parler des marronniers de son 13-heures, j’ai hâte de le rencontrer [rires] .

Il vous a tout de même chanté “Viens, je t’emmène” pour la dernière du “Petit Journal”…

–  Oui, alors que je ne le connais pas. J’étais comme un gamin, je me suis dit “Allez, je tente le coup”, et je lui ai envoyé un texto : “Jean-Pierre, bonjour, est-ce que vous accepteriez… ?” Il a dit oui tout de suite. Tout de même, il devait faire du lip dub sur du France Gall…

“Le Petit Journal” est inspirant pour les ados notamment parce qu’il pousse à l’antenne de – très – jeunes talents, sauf qu’il n’y a aucune égalité hommes/femmes…

–  Il y aura plus de femmes cette année.

Pourquoi y en a-t-il eu si peu ?

–  C’est une question de rencontres. Et, hors antenne, il y a, dans l’équipe, plus de filles que de mecs.

C’est tout de même un problème cette absence à l’antenne…

– Je suis d’accord avec vous. J’assume. Je n’en suis pas fier.

Vous aviez ainsi justifié le recrutement d’Ophélie Meunier : “Y avait que des mecs dans la rédac, ça sentait un peu le fauve.” Chacune de ses entrées sur le plateau s’accompagnait d’un gros plan sur sa chute de reins…

–  Ce n’est pas pour me défausser mais ce n’est pas moi qui suis derrière la caméra. Les plans, je ne les vois pas. Pas plus que l’émission. J’ai découvert ça au bout de quelques mois. On a arrêté.

Ces plans, qu’en avez-vous pensé ?

– Que c’était très chic ! On a fait des bêtises, on assume.

Vous dormez bien en ce moment ?

–  Ah oui ! Je n’ai jamais eu de stress. Un éclair ne va pas tomber du ciel et me transpercer si ça ne marche pas. Si ça rate, ça rate. Je ne vais pas mourir, ce n’est que de la télé.

Propos recueillis par Sophie Grassin et Véronique Groussard

“Quotidien” du lundi au vendredi à 19h10 sur TMC

 

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