"Du 11 septembre 2001 à Daech : combattre les djihadistes ou cesser de les fabriquer ?"

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"Du 11 septembre 2001 à Daech : combattre les djihadistes ou cesser de les fabriquer ?"

Date: 11 September 2016 | 8:21 am


Vue des tours du World Trade Center depuis Brooklyn à New York, le 11 septembre 2001 (H. RAY ABRAMS/AFP).

 

Si réelles que soient les différences ou les évolutions qui séparent les attentats qui ont frappé les États-Unis le 11 septembre 2001 de ceux qui ont frappé la France depuis 2015, il ne faudrait pas qu’elles masquent une vérité essentielle : si le “comment” de cette confrontation a évolué, le “pourquoi” est bel et bien demeuré le même.

 

Acteurs, méthodes, “filières”, appellations, territoires de la “terreur” et de la “guerre” que nous prétendons mener “en retour” ne sont peut-être plus strictement les mêmes. Mais les motivations de ceux qui la mènent sont en dernière instance demeurées identiques. Nous sommes bien restés engagés dans cette même confrontation dont, depuis le 11 septembre 2001, nous avons été si parfaitement incapables de sortir.

 

Du rejet de la militarisation de la diplomatie pétrolière…

 

L’animosité qui motive les agresseurs musulmans de l’Occident s’inscrit dans le prolongement d’une fracture politique ouverte, à l’échelle du siècle, par la profonde blessure coloniale.

 

Cette blessure jamais refermée a été aggravée ensuite par les politiques “impériales” mises en œuvre au cœur du monde musulman. Au sein des communautés musulmanes implantées en Occident, cette blessure a été enfin exacerbée par les déficits et les échecs aujourd’hui patents des formules du “vivre-ensemble”.

 

À l’aube des années 2000, l’explosion de violence du 11-Septembre est venue signaler avant tout le rejet de la militarisation de la diplomatie pétrolière des États-Unis (libérée par la chute de l’URSS des limites inhérentes à la rivalité de leur challenger) et de leur instrumentalisation cynique et antidémocratique, aux services de leurs intérêts, des pires régimes autoritaires arabes.

 

Depuis quinze ans, la réponse éminemment contre-productive aux attentats de New York et Washington – ce mélange de la suspicion citoyenne du Patriot Act et de la violence aveugle du carpet bombing de l’Afghanistan puis de l’invasion de l’Irak – a fait qu’irrésistiblement, les quelques milliers de djihadistes cantonnés, au début des années 2000, au seul territoire de l’Afghanistan, ont essaimé aujourd’hui aux quatre coins de la planète.

 

… au repli xénophobe occidental

 

Le suivisme quasi aveugle des Européens dans cette impasse, puis, plus récemment, les failles béantes ouvertes par leurs atermoiements respectifs dans la gestion de la crise syrienne sont entrés enfin en résonance avec le lent repli xénophobe qui, de Tony Blair à Donald Trump, et de Nicolas Sarkozy à Manuel Valls, ronge l’ensemble de leurs sociétés.

 

Cette double dérive a accentué l’aliénation de pans entiers du monde musulman, y compris au sein des sociétés occidentales. Mais une infime fraction d’entre eux a opté pour le registre de la violence que l’on sait. 

 

Tous ceux – acteurs ou analystes – qui surestiment la nature idéologique ou religieuse de cette matrice commune aux deux poussées djihadistes successives, et insistent sur l’importance des évolutions et des différences, refusent en réalité d’en accepter la nature banalement réactive et politique. 

 

Ces différences ne sont pour autant pas négligeables. Dans l’Afghanistan où prend pied Al-Qaïda au milieu des années 1990, la tension sunnite/chiite est très marginale. Dans l’Irak post-Saddam de Daech, la dynamique de la “revanche chiite” va tenir une place essentielle et la rivalité sectaire ouvre une nouvelle ligne de fracture, de division et donc, potentiellement, de manipulation au sein des acteurs du “sud”.

 

La globalisation accélérée du ressentiment

 

La différence générationnelle est tout aussi réelle. La filière de formation des cadres de Daech – l’appareil militaire baathiste abattu par l’ingérence américaine – diffère de celle qui a conduit les “Arabes afghans” dans les rangs d’Al-Qaïda.

 

La principale des nouveautés des quinze années écoulées réside ensuite dans la reconfiguration partielle – au détriment des Occidentaux – de la scène internationale, d’abord marquée par le retour agissant de la Russie. Elle résulte ensuite de l’affirmation de deux nouveaux acteurs régionaux, tous deux islamistes : la Turquie et l’Iran, devenus, chacun dans son rôle, incontournables.

 

Enfin, par-dessus tout, en quinze ans, ce processus que je nomme “globalisation du ressentiment” s’est spectaculairement accéléré. Les exclus musulmans des sociétés occidentales se sont identifiés et associés plus systématiquement et en plus grand nombre aux victimes et autres exclus “orientaux” du système politique mondial et de sa global war on terror.

 

Le processus est en train de s’accélérer : les premiers attentats djihadistes en Europe y ont déclenché une réaction régressive qui a malheureusement aggravé les déséquilibres dont ces violences auraient dû signaler l’importance et la dangerosité. Chez les politiciens de tous bords en mal de surenchère islamophobe, Daech et l’option de la montée aux extrêmes trouvent ainsi très paradoxalement depuis deux ans de très puissants alliés.

 

L’entêtement occidental

 

Si substantielles soient-elles, ces évolutions n’ont pourtant affecté que le rythme, la forme, les itinéraires et les modalités d’expression des réactions à un même dysfonctionnement structurel des mécanismes de la représentation politique et de l’allocation des ressources. Les différences de méthodes (notamment le fait que le conflit syrien ait donné à Daech l’opportunité de tenter l’option d’une territorialisation étatique) ne procèdent pas d’une problématique conflictuelle structurellement différente de celle qui a débouché sur le 11-Septembre.

 

Le soutien général de l’Occident, par action ou par omission, au régime de Bachar al-Assad qui résulte aujourd’hui de l’option (qui emprunte le même double raccourci que le Patriot Act et le carpet bombing américain) du “tous contre Daech et seulement contre Daech” renoue avec la logique – et demain avec les conséquences mortifères – de l’interminable soutien aux “Pinochet arabes” des deux décennies précédentes.

 

Dans la grande surenchère électoraliste qui s’annonce, le “salafisme” et le “djihadisme islamiste” ont toutes les chances de demeurer les seules cibles des efforts des Occidentaux. Et les rouages qui poussent tant de leurs voisins, ou même des leurs, à opter pour cette expression clivante ou belliciste de leur identité musulmane, de rester soigneusement à l’abri de tout effort d’introspection et de réforme !

 

 

 

 

 

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