"Clash" : dans un fourgon de la police égyptienne
Date: 13 September 2016 | 4:59 am
C’est, au sens propre, un film étouffant. On le conseille aux cinéphiles, mais on le déconseille aux claustrophobes. Pendant une heure et demie, l’Egyptien Mohamed Diab, 38 ans, nous enferme dans un fourgon de police qui brûle sous l’implacable soleil du Caire et dont, à l’extérieur, les scènes de guerre civile empêchent la progression dans la ville, jusqu’à l’immobiliser complètement.
La situation n’est pas seulement bloquée, elle est aussi absurde. Car les flics en noir finissent par ne plus savoir s’ils doivent résister dehors aux manifestants ou surveiller, à travers les barreaux, les prisonniers qui en viennent aux mains dans ce cachot ambulant dont, par peur d’être mêlés aux sanglants combats de rue ou d’être les cibles des snipers, ils finiront par ne plus vouloir sortir.
Comme un concentré explosif de la société égyptienne de l’été 2013, au cours duquel l’armée du général Abdel Fattah al-Sissi a destitué le président islamiste Mohamed Morsi, les quelque vingt personnes arrêtées et jetées pêle-mêle dans le fourgon cellulaire appartiennent à toutes les obédiences, toutes les classes sociales, toutes les générations : il y a des Frères musulmans, des religieux purs et durs, des révolutionnaires partisans du coup d’Etat militaire, des attentistes qui refusent de choisir entre les deux camps, des commerçants, des SDF et deux journalistes d’Associated Press, dont un Egypto-Américain, forcément accusé de trahir tout le monde, victime menottée de la xénophobie collective.
EGYPTE. La révolution n’est plus qu’un souvenir
Plus le temps passe, plus la chaleur et la colère montent. Entassés, assoiffés, affamés, au bord de l’évanouissement, ces ennemis fratricides que le hasard contraint à cohabiter sont décidément irréconciliables. Trois ans plus tard, fanatiques des deux bords continuent, en Egypte, de s’opposer. Le film suffocant et haletant de Mohamed Diab n’est pas anachronique, il est visionnaire.
Derrière les barreaux
Le réalisateur à qui on doit “les Femmes du bus 678”, charge implacable contre le machisme et le harcèlement sexuel, continue, avec “Clash”, toujours en caméra portée, de vouloir que son pays, réduit ici à la taille (8 m2) d’un antédiluvien panier à salade, s’installe vraiment dans la démocratie.
Arrestations, enlèvements, assassinats : l’Egypte s’enfonce dans la répression
Entre la loi islamiste et la loi martiale, Mohamed Diab a l’intelligence de ne pas choisir : son film ne milite que pour la liberté d’expression et contre toutes les formes d’oppression. Un film aussi efficace et virtuose dans la mise en scène très théâtrale du huis clos que dans le découpage très cinématographique, à travers les fenestrons, de la guérilla urbaine. Un film, enfin, où le spectateur étranger, placé contre son gré derrière les barreaux, ne pourra plus dire que c’est loin et que ça ne le concerne pas.
Jérôme Garcin
♥♥♥ “Clash”, par Mohamed Diab. Drame égyptien, avec Nelly Karim, Hany Adel, Tarek Abdel Aziz, Ahmed Malek (1h37).