Affectation en 6e à Paris : des changements oui, mais très prudents

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Affectation en 6e à Paris : des changements oui, mais très prudents

Date: 14 September 2016 | 6:49 pm

Après les lycées, les collèges ? Le recteur de Paris, François Weil, a annoncé lundi 12 septembre son intention d’utiliser un algorithme pour déterminer l’affectation des élèves de 6e, pour la rentrée prochaine. Son petit nom : “Affelnet 6e”, comme son grand frère “Affelnet 2nde”, qui répartit les lycéens en fonction de leurs voeux d’orientation.

Parallèlement, il a indiqué dans une interview à l’agence AEF qu’une “expérimentation” serait menée à la rentrée 2017 concernant des “secteurs multi-collèges”, pour “renforcer la mixité sociale”. Ses déclarations sont venues alimenter une polémique sur la carte scolaire à Paris, et ont créé un début de panique chez les parents.    

Qu’est-ce qu’Affelnet 6e ? A quels objectifs répond-il ? Que sont les “secteurs multi-collèges” ? “L’Obs” répond à vos interrogations.

Qu’est-ce qu’Affelnet ?

Affelnet (AFFectation des ELèves sur le NET) est un logiciel utilisé dans toutes les académies – sauf à Paris – pour le collège. Il utilise une base de données, les listes d’élèves, et affecte ces derniers dans les collèges et les lycées selon un algorithme qui prend en compte un nombre plus ou moins importants de critères.

Le logiciel pour l’entrée en seconde est bien connu des familles, parce qu’il impose au collégien de lister ses vœux (entre 3 et 8, en fonction des académies) et donne lieu à des questionnements angoissés et des conjectures infinies sur la façon dont ces voeux seront “moulinés” par l’informatique. 

A Paris, Affelnet a eu des effets bénéfiques. Il a mis un terme au “marché des élèves”, par lequel les proviseurs des lycées se partageaient les dossiers de façon opaque et subjective, et il a fortement contribué à diversifier le public scolaire dans les établissements parisiens.

“Grâce à Affelnet, la mixité sociale a fortement progressé, avec une baisse de 34 % de la ségrégation, qui est maintenant plus faible à Paris qu’à Versailles ou à Créteil”, précise dans “Le Monde” Thomas Piketty.

En effet, chaque élève est doté d’un total de points, en fonction de ses notes, de son handicap, de son adresse, et Affelnet accorde un bonus aux collégiens de milieux défavorisés et boursiers (300 points sur un total de 1.500 points). Cette prime leur donne une telle avance qu’ils passent devant tous les autres élèves et peuvent obtenir leur premier vœu, quel qu’il soit. Et ce, indépendamment de leurs résultats scolaires. “Affelnet a eu un vrai effet de discrimination positive”, confirme l’économiste Julien Grenet, spécialiste de la carte scolaire parisienne.

Qu’est-ce qu’Affelnet 6e ?

Ce logiciel est déjà utilisé dans toutes les académies pour envoyer l’écolier dans son collège de secteur, en prenant en compte la carte scolaire existante. Il n’a par pour mission de réguler la sociologie du public scolaire dans les différents établissement. Julien Grenet résume : 

“Cet algorithme n’est vraiment utile que pour affecter les demandes de dérogations.”

Paris était la seule académie à ne pas l’avoir encore adopté. Pourquoi ? Parce que la capitale est un monstre où la densité de population est forte, les contrastes d’une rue à l’autre importants, et les demandes de dérogations, nombreuses. Du coup, l’académie avait gardé “un système à l’ancienne”, comme on l’explique dans l’entourage de la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Cet état de fait est terminé. L’académie de Paris se met à la page, et adopte, comme toutes les autres, Affelnet “collège” à la rentrée 2017.

Affelnet 6e va-t-il favoriser les élèves boursiers ?

Qu’est-ce que cela change ? “Rien”, martèle-t-on au ministère.

“L’utilisation de ce logiciel n’aura pas d’impact. Les élèves vont continuer d’être affecté dans leur collège de secteur.”

Seul le critère géographique – l’adresse de la famille – est pris en compte. On informatise un système qui jusque-là ne l’était que partiellement. Alors pourquoi tant d’émotion ?

Cette annonce intervient en pleine polémique sur la carte scolaire lancée par l’économiste Thomas Piketty. Dans une tribune sur “Le Monde” la semaine dernière, il a dénoncé le “niveau absolument extrême de ségrégation sociale” à Paris, où certains collèges comptent “plus de 60% d’élèves défavorisés”, quand d’autres en comptent “moins de 1%”. Les établissements privés, notamment, pratiquent une exclusion quasi complète des classes défavorisées.  

Et surtout, l’économiste préconise des solutions ! Notamment celle d’appliquer le modèle de l’”Affelnet lycée” (avec ses multiples critères, notamment les points boursiers) à l’affectation en 6e. Voire d’y inclure – ce qui est infaisable en droit à ce jour, en vertu de la loi Debré sur l’enseignement privé – les collèges privés.

” Il ne s’agit pas de décréter que chaque collège doit avoir exactement 16% d’élèves défavorisés, simplement, on pourrait imaginer un système qui fasse en sorte que tous les collèges comptent entre 10% et 20% d’élèves défavorisés, ou bien entre 5% et 25%… mais pas entre 0,3% et 63% !” explique-t-il.

De là à penser que les dispositions annoncées par le recteur François Weil répondaient aux injonctions de Thomas Piketty, il n’y a qu’un pas.

L’inquiétude était d’autant plus facile à faire naître que “Affelnet lycée” a connu des bugs informatiques cette année. Dans le quart nord-est de Paris, où le pourcentage de boursiers est le plus élevé de l’académie, la situation est devenue problématique. A cette rentrée, certains lycées qui avaient été couronnés par la presse pourleur capacité à faire progresser les élèves l’année dernière, en ont fait les frais. Les élèves boursiers les ont mis en premier dans leur liste de vœux.

Résultat : le lycée Turgot, par exemple, à deux pas de la place de la République, a dû accueillir… 83% d’élèves de milieux défavorisés. “Même d’excellents élèves non boursiers n’ont pas pu y accéder”, souligne “Le Figaro”.

83% de boursiers au lycée Turgot : le prix de la bonne réputation ?

Quid de l’expérimentation multi-collèges ? 

La polémique a également été alimentée par l’annonce qu’à Paris, dans une dizaine de quartiers, des expérimentations vont être menées en 2017, qui visent à améliorer la mixité sociale dans les établissements. Elles s’inscrivent dans un plan national : le gouvernement veut ramener à moins de 10% les écarts de réussite scolaire entre élèves.

Comment ? En redessinant la carte de l’éducation prioritaire, en augmentant les moyens là où c’est nécessaire, et en menant des expérimentations : redécoupage de la carte scolaire, renforcement de l’attractivité scolaire des établissements en y créant des filières d’excellence… et en créant des secteurs multi-collèges. C’est cette dernière option qui a été retenue pour Paris. Le recteur François Weil explique :

“Sur un territoire urbain d’une très grande densité, c’est une opération qui peut se définir à l’immeuble près.”

Dans ces secteurs “multi-collèges”, où l’on trouve deux ou trois établissements d’attractivité et de réputation diverses, l’élève devra ordonner ses vœux, et un algorithme attribuera les places en fonction de la proximité géographique bien sûr, mais aussi d’autres critères tels que le handicap, le rapprochement de fratrie, les CSP, le quotient familial… Objectif : réduire les différences sociales entre les établissements.

Le ministère indique :

“Ces critères ne sont pas arrêtés. Ils doivent être discutés avec les familles à l’automne.”

Il n’est pas question, évidemment, de faire traverser l’arrondissement à un enfant de 11 ans. Il s’agit de lui faire traverser une rue de plus, peut-être, pour aller se mélanger avec des enfants qu’il n’a pas nécessairement côtoyés dans son école de quartier. Ce redéploiement “multi-collèges” sera assuré par un algorithme. Un “Affelnet 6e” enrichi de critères supplémentaires ? 

Morgane Bertrand, Caroline Brizard, Renaud Février

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